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Le voleur de feu
Si vous lisez ceci, mes geôliers ont donc décidé d'en finir. Vous devez vous demander ce que j'ai fais pour être enfermé dans cette cellule, n'est-ce pas ? En général, ils envoient les criminels dans la ville basse, mais pas moi, je suis bien trop dangereux pour leur système. Mon crime ? Révéler la vérité. J'écris ces mots afin qu'une personne reprenne la relève, Hemera doit connaître la vérité sur cette aliénation collective. Pour cela, je vais vous conter mon histoire, l'histoire d'un voleur antipathique et asocial de la ville basse, comment suis-je arrivé ici, dans la ville haute ? Je serai bref, ils ne doivent pas savoir que je transmette ce message.
Tout a commencé près d'une cantina, comme à mon habitude j'essayais d'éviter les revendeurs de Maipiu, oui ce fameux produit illicite, tout ce petit monde appartenait aux gangs qui dominent la ville souterraine. J'ai vu le corps d'un officier, l'un de ceux qui contrôlent l'accès au monde supérieur, près de la sortie de secours. Une carte argentée dépassait de son uniforme, pendant que je le dépossédais de ses biens un homme m'attrapa par le col. Un membre de la résistance. C'était la première fois que j'en voyais un, ils étaient connus pour être invisibles. Je n'avais aucune admiration envers ce type, pourquoi en aurais-je ? La résistance était une belle blague, pas de chef, pas de hiérarchie, juste une bande de brutes qui rêvait d'un monde unifié. Il me jeta à terre sans ménagement, je me suis débattu, j'ai vu son visage, grave erreur, du moins c'est ce que je pensais. Quelques heures plus tard, après une amusante course poursuite avec mon assaillant (mais par faute de temps je ne l'écrirais pas), je me retrouvais en face de lui, dans la cantina aux halogènes ardents, il m'expliqua son travail, je ne vous en dirai pas plus pour sa sécurité, mais pour une certaine raison j'ai accepté son offre, ou plus exactement son chantage, celui d'aller dans la ville haute et d'apporter des informations pour la résistance. C'était alléchant, devenir le premier homme à monter vers l'élite, cette soi-disant élite, être le premier homme né dans les sous-terrains à voir le ciel étoilé.
Arrivé devant l’ascenseur, une peur incommensurable me consumait. J'avançais de mon habituel pas lourd, déguisé et maquillé comme cet officier, son badge en main. Je montais enfin vers la ville haute, adieu le cuivre, adieu la saleté, adieu la guerre entre gangs. Quelle ne fut pas ma déception. Souvenez-vous, le ciel est gris, l'a-t-il toujours été ? J'ai découvert un monde différent, mais tout aussi horrible. Blanc, propre, ordonné, confiné, rangé. La ville était terne et silencieuse, pas de cris d'enfants. Où sont les enfants ? Les habitants ne souriaient pas, ne se regardaient pas, tous habillés de noir, ils semblaient être parfaits. Perfection illusoire. Une élite individuellement collective ? Voici l'impression que j'ai eu, votre monde est un monde mort. La société à son summum, l'aliénation collective. Est-ce donc ça votre élite ? Des automates ?
Alors que je tentais de me faufiler entre ces hommes, je découvris un immense bloc de béton, une sorte de résidence… Comment pouvez-vous vivre dans cette chose ? J'avais, et j'ai toujours cette impression de fourmilière moderne, un véritable labyrinthe où nous pourrions perdre la raison. La raison, voilà ce qu'a perdu le monde d'en haut. Personne ne semble réfléchir, pis encore personne ne me voyait, je suis un fragment remplaçable du groupe, perdu dans un dédale de béton. Je devais juste récupérer une information concernant l'alliance entre vos politiciens et nos gangs, rien de plus, et me voilà dans les habits de Prométhée. Nous y sommes à notre fameux message. Avez-vous hâte ? Je me suis retrouvé dans le ministère, je fouillais le bureau du vieil homme, et là… La vérité sur l'Hemera. Saviez-vous que personne ne pouvait en sortir ? Que ce ciel n'était qu'un écran de fumée ? Que nous sommes juste des ouvriers pour une guerre stellaire ? Je vous explique, il y avait un vieux document caché dans l'un des coffres-forts, il s'agissait d'une sorte de pacte d'un temps passé, bien poussiéreux. À l'origine l'Hemera n'était constitué que d'une seule ville sans barrière, ou plutôt une usine produisant des armes et des soldats de nouvelle génération. Un jour une révolte a failli mettre en péril ce joli monde d'affaires militaires, qu'ont fait les dirigeants ? Une très forte répression, l'usine s'est scindée en deux, d'une part la ville haute avec les bons producteurs, et de l'autre part la ville basse où se sont confinés les réfractaires. Comment avons-nous oublié pensez-vous ? Suis-je un illuminé ? Non. Ils nous ont donné le Maipiu, ce n'est pas une simple poudre hallucinogène, mais une substance qui permet de modifier notre mémoire grâce à la nanotechnologie qu'elle contient. Un jour, faites un test, vous ne serez pas déçu du résultat.
Cette découverte était majeure, j'ai transmis l'information à la résistance. Elle avait enfin de quoi avoir un véritable objectif, et pas des moindres, nous libérer de cette illusion. On me confia une nouvelle mission : rassembler le maximum de personnes à rallier à notre cause. Vous connaissez sans doute la suite, j'ai bien secoué la ville haute sous le nom du « Voleur ». Faire tomber un à un les pions politiques, créer des mouvements de masses pour faire succomber chaque institutions, et tout cela sans me faire attraper. Pourtant, à l'heure où j'écris ces lignes sur des bouts de chiffon, je suis enfermé dans cette cellule trop blanche, fais comme un rat. Mes alliés se sont dispersés, je ne serai même pas étonné d'apprendre qu'ils ont oublié le début de notre révolution.
Vous qui lisez ces lignes, non, cette dernière volonté, que vous soyez un prisonnier, un garde, ou même un simple agent d'entretien, arrêtez cette mascarade et mettez le feu au poudre. Ils pensaient me stopper dans mon œuvre ? Jamais. Jamais notre liberté individuelle ne pourra être effacé au profit du collectivisme de la production de masse, en particulier pour la guerre. Révélez la vérité.
Tags : histoire, science fiction
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