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Le violoniste
Cela fait déjà quatre ans que ma vie a été bouleversée.
Patrie,honneur, liberté dictaient ma vie, mais aujourd'hui j'ai perdu quelque chose de précieux. Les passants ne m'accordent pas un regard, mais comment peuvent-ils le savoir ?
Je m'en souviendrai jusqu'à la fin des temps, c'était le lendemain de la Toussaint, le jour des défunts. La lune se levait d'une lueur vespérale, les pertes étaient colossales. Nous avions perdu un régiment entier lorsqu'une déflagration surgie des hauteurs enneigées de l'Isonzo : les Autrichiens avaient lancé une bombe au dichlorure, tuant un grand nombre de personnes en quelques minutes, dans d'atroces souffrances. Le moral des troupes était au plus bas, le blizzard et la brume déferlaient dans les monts, la neige tombait dans notre ration de soupe aux choux et la rendait glacée. Je décidais alors d'amener un peu de chaleur dans la tranchée, je pris mon instrument qui trônait au côté de ma baïonnette; certes il était usé par les années mais une mélodie s'en échapperait vers mes camarades. Un staccato s'envola du violon dans toute sa puissance comme pour annoncer l'heure de l'allégresse.Les soldats cessèrent toute activité et écoutèrent, le violon régnait en maître transperçant la voûte hiémale d'où tombaient lentement les flocons ouatés. Je commençais donc un morceau de L'Ode à la Joie que j'avais présenté au conservatoire de Venise avant la guerre. L'effet fut immédiat : mes compagnons d'armes frappèrent dans leurs mains en rythme, l'un des lieutenants chanta, prestement suivit par nos compères, l'ensemble formant une chorale improvisée. Un groupe criait en chœur « Tous les êtres boivent la joie aux seins de la nature ; tous les bons, tous les méchants suivent sa trace parsemée de roses ! » et des éloquents « Hâtez-vous, frères, sur votre route.Joyeux comme un héros vers la victoire. ». Toutes nos souffrances semblaient s'être évaporées, ne laissant qu'un groupe d'amis proches la veille d'un mariage de l'un d'entre eux. Les bols crasseux devenaient des calices précieux que l'on utilisait comme des instruments à percussion afin de créer l'orchestre le plus grandiose que ces terres aient connu. La joyeuse fanfare laissait se disperser ses mélodies jusqu'aux confins de la vallée, l'arrière devait bien en profiter ! Chaque note donnait une douce chaleur d'espérance.
À la surprise générale, ce n'était pas les cantonnements italiens qui se joignirent à nos chants, mais les hommes de Von Bojna, les Austro-Hongrois, qui nous répondirent en lançant de l'autre côté de la paroi « O Freunde, nicht diese Töne! Sondern laßt uns angenehmere anstimmenund freudenvollere ! ». Je m'interrompis : était-ce une menace ? Ce n'est que lorsque Rossi m'apprit que c'était le premier couplet de l'ode que je me détendis, reprenant mon archet prêt à continuer. Je me levai et invitai ma troupe à faire de même pour interpréter le final de notre récital avec nos ennemis. Nous dansâmes tels de beaux diables, enflammant la mince couche de neige qui se déposait sur le sol de calcaire. La musique imprégnait chaque membre de notre corps d'une once de magie qui nous maintenait en vie dans le bonheur d'être uni. Tout mon être hurlait pour que ce moment pût continuer jusqu'à la fin de la nuit.
Nous devînmes à cet instant une seule famille, un seul être s'élevant contre les fléaux de la guerre, cette catastrophe qui déchire les familles, qu'elles soient de sang ou de cœur. Nous sommes tous des êtres humains, des hommes devant se battre et s’entre tuer pour un mot « Patrie ».
Or ces paysans autrichiens ne sont pas différent des paysans italiens, nous avons des valeurs communes, un passé commun, pourquoi devons nous en venir aux armes ? Malheureusement les faits étaient là, tuer ou être tué, nous étions tous ensemble dans la même situation, dans des balafres glacées sans sommeil, l'artillerie tirant nuit et jour.
L'odeur de putréfaction méphitique inondait nos journées, la mort nous guettait du haut de son perchoir cendré, un monde infernal remplaçait ce qui était autrefois un paysage magnifique. La haine transforme tout ce qu'elle touche en une chose immonde que l'on nomme « les combats ».
Pourtant grâce à la musique angélique nos deux camps se sont réunis; elle a adouci nos uniformes bien sombres en un rêve lumineux. Les semaines passées n'étaient plus qu'un mauvais souvenir.
La nuit était avancée et le monde sombrait dans les bras de Morphée. Tandis que je songeais à la fin des atrocités, un officier me réveilla pour m'apprendre que j'avais fraternisé avec les troupes adverses, et que, si mes frères d'armes et moi n'allions pas en première ligne à l'aube nous battre, nous serions tous fusillés pour haute trahison sans avoir le droit à une sépulture décente. Ceux qui étaient éveillé obtempérèrent alors que d'autre refusèrent finissant dans une mare écarlate.
Je me levais en fixant les yeux pers de mon supérieur, sûr de mon choix. Il y eu plus de soixante-dix mille morts lors de cette bataille. Je suis l'un des rares rescapés de ce massacre, mais j'ai dû en payer le prix : j'ai perdu mes frères et plus jamais je ne pourrai entendre « Allez voilà Evola le plus brave des soldats ! » ni de rejouer d'un instrument pour eux.
Ensemble nous formions une famille, et ensemble nous avions vaincu la guerre.
Tags : texte, nouvelle, guerre, musique
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Commentaires
Totale respect! Sérieux fait prof de français, c'est un conseil d'amie.
Dit en faite ça te tue pas de lire mon écriture en faite? Personnellement je serais toi je ne lirais même pas ce genre de fautes. (par pure respect pour mon âme)
Tu t'exprime tellement bien, tu utilise un vocabulaire qui m'est inconnue (j'avoue j'ai pas compris tout les mots) je suis tellement loin de toi finalement.
Mes poèmes valent finalement rien à côté du tien.
Du coup tu m'explique l'histoire en détail ? C'est un peut flou pour moi. Je comprendrai mieux avec un langage plus connue > celui de maternelle *mdr
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/!\ Texte publié en français ET en italien dans le recueil : Eclats de Lire / Nouvelles durvilliennes 2016 /!\